L'UN DES NÔTRES


Dans le cadre d'Europalia, la Centrale et Argos réunissent deux artistes, la Stambouliote Gülsün Karamustafa et le Bruxellois Koen Theys, dont les pratiques et les préoccupations se rejoignent en de nombreux points.
I1s ne se connaissaient pas, ils ne s'étaient jamais rencontrés et pourtant, à voir Leurs oeuvres ainsi confrontées dans les espaces de la Centrale et d'Argos, on se dit que leur réunion tombait sous le sens. Gülsün Karamustafa, née à Ankara en1946 et vivant à Istanbul, et Koen Theys, né à Bruxelles en 1963 et y résidant toujours aujourd'hui, travaillent tous deux la vidéo mais ne s'y limitent pas, s'interrogent sur choc des cultures et la force des images et partagent un intérêt pour le mélange du sacré et du populaire, de la high culture et de la low culture.
Concrètement, leur point commun le plus frappant, ce sont les installations vidéo à plusieurs canaux Men Crying pour Karamustafa (à la Centrale), aux protagonistes masculins, et The Worldwide Web of Sorrows de Theys (chez Argos), aux protagonistes féminins. Un dispositif quasiment identique pour deux propos : chez l'une, les codes de comportement en Turquie, chez l'autre, l'épanchement sans filtre des émotions sur Internet. Dans la salle principale de la Centrale, une immense table dressée par Karamustafa autour des bonnes manières passées de l'Occident à la Turquie à travers la traduction d'un manuel côtoie une vidéo de Theys qui met en scène une autre table accueillant «la plus grande vanité du monde» avec une profusion de livres,

de bougies, d'horloges, de crânes et d'escargots. Ailleurs, Gülsün Karamustafa interroge les clichés européens sur les hammams, ces «bains turcs» porteurs de toute une série de fantasmes sur l'Orient, tandis que Koen Theys confronte en céramique, sous le titre Arabian Nights, un ciel étoilé digne des Mille et Une Nuits et la traque technologique des terroristes en Irak (Saddam Hussein) ou au Pakistan (Oussama ben Laden).
Prenez le temps de vous plonger dans Memory of a Square, vidéo où Karamustafa oppose sur deux écrans la vie privée d'une famille à l'intérieur d'une habitation et les événements sanglants qui ont secoué la place Taksim des années 30 aux années 80, et de vous Laisser absorber par l'hypnotique One of Us de Theys, où des centaines de figurants en costumes historiques de processions religieuses flamandes (dont la fameuse procession du Saint-Sang à Bruges) surgissent du néant en scandant «Gooble gobble, one of us, we accept you», réplique du film culte Freaks sur l'acceptation ou non de celui qui ne nous ressemble pas. Magistral!


Estelle Spoto – Agenda
13 nov. 2015

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