Vanités : Ça crâne à Maillol !


Cet article a été écrit en collaboration avec Samuel Zarka, Ingénieur du symbolique.
Il est à mettre en relation avec l’analyse du tableau de Martinelli « Memento Mori » (étude pour ExpérimenTable).

Ça crâne à Maillol !
A propos de l’exposition du Musée Maillol
« C’est la vie, Vanités de Caravage à Damien Hirst »

Avec pour ambition de « (mettre) en lumière des œuvres rarement dévoilées au public, et proposer un parcours initiatique et singulier dans l’Histoire de l’Art» [1], le musée Maillol expose actuellement une centaine d’œuvres «de Caravage à Damien Hirst », réunies autour de la thématique des Vanités.

Et pourtant, que le visiteur se rendant à Maillol n’espère pas y trouver un aperçu de la richesse des interprétations artistiques des Vanités. Si ce terme désigne toute « représentation picturale évoquant la précarité de la vie et l’inanité des occupations humaines» [2], par un jeu de signes inversés entre symboles des plaisirs de la vie et expressions de la mort, ici, le commissariat a plutôt procédé à la juxtaposition de tout ce que les musées et collections privées comptent de têtes de mort (en sculpture, peinture, bijoux, etc.), comme si leur juxtaposition pouvait suffire à faire exposition.

Car c’est bien sous la forme d’un véritable bric-à-brac, plus kitsch que baroque, que l’exposition, organisée par regroupements hâtifs, sous des catégories aussi vides que rassurantes («les classiques», «les modernes», les «contemporains »), selon un parcours affranchi de toute chronologie, pose un problème de sens, qu’on retrouve à plusieurs niveaux.

D’abord, en ce que cette exhibition exclusive de têtes de mort (en plastique, en diamant, en mouches, etc.) réduit considérablement l’iconographie des Vanités, évacuant notamment tout ce que celle-ci comporte d’évocation de la vie terrestre, dont la mort n’est que le contrepoint. Ainsi, en rencontrant le «Memento Mori » de Martinelli, qui peint la Mort surprenant des convives à table, on mesure tout ce que le parcours de l’exposition évide par ailleurs, en limitant la Vanité au seul crâne. Derniers restes de victuailles : un poireau perdu dans un Picasso, et quelques légumes sculptés… en tête de mort [3].

Cette réduction du sens au signe accentue de manière univoque la Vanité comme message : « l’existence terrestre n’est rien, alors soyez humble! ». En l’occurrence, il faudrait se demander de quel droit l’accrochage recouvre l’ensemble des œuvres de cette signification. Celle-ci permet sans doute de se faire une idée rapide des représentations vivantes autrefois, à défaut de faire l’expérience de significations aussi sûres au présent. Et cependant, par-delà cette simplification rétrospective, cette interprétation rachitique de la Vanité n’aurait-elle pas parue inepte, déjà, à l’époque de Martinelli?

Dès la première salle de l’exposition, on constate que par cette accumulation, les œuvres s’effacent et deviennent silencieuses, tandis que leurs spécificités disparaissent ; il devient impossible d’y voir autre chose que des crânes, encore des crânes. « Tiens, surprise, encore un ». Cent soixante-six œuvres, toutes époques confondues (malgré une nette dominante du XXe siècle), regroupées autour d’un axiome aussi voyant que spectaculaire, sont ainsi vidées de leur sens au profit de la seule présentation du signe «crâne ». — Et le marketing organisé autour de «noms célèbres » (de « Pompéï » à « Picasso », de «Caravage » à « Messager »…) demeure impuissant. On n’y voit rien.

Par leur simple regroupement, toutes ces « Vanités » se trouvent réduites à un signe brandi au point d’en devenir caricatural, comme cet enfant jouant au football avec un crâne [4], ou cette grosse tête de mort, fluo et stylisée «japanimation» [5].

Enfin, comme pour démultiplier cette noyade du sens, une vidéo au sous-sol propose un plan très lent sur l’installation d’une « Nature morte géante » en volume [6] : dans une lumière blème, entre des amoncellements de livres parmi lesquels des classiques littéraires sont mis en évidence, la poussière s’accumule sur des crânes et des chandelles, des escargots passent, des horloges tic-taquent. De temps en temps, un échange de voix : celle de l’artiste, invité à présenter l’œuvre (« la plus grosse nature morte de tous les temps! ») ; puis d’autres voix, qui la présentent pour lui. Les propos se succèdent et se recouvrent les uns les autres, faisant dire à l’installation une chose puis son contraire. Si cette vidéo est réussie en elle-même, la confusion qui y est organisée n’assied en aucun cas le chaos des étages de l’exposition. Et si le ficelage curatorial semble dire : « l’exposition est mise en abîme par le film, qui en fournit la critique », le spectateur a vaguement le sentiment qu’on se paie sa tête…
Malgré tout, certains tableaux méritent qu’on s’y arrête. Au détour d’une alcôve, trois petits « Warhol » proposent des variations colorées sur une tête de mort sérigraphiée. Son graphisme est reproduit tel quel par Warhol, qui l’a placée sur chacune des toiles, n’y ajoutant qu’un alentour coloré. Grimaçants au milieu de la morbidité puérile de l’ensemble de l’exposition, les trois crânes deviennent drôles, ironiques, légers.


Caroline Champion & Samuel Zarka – Exploratrice des Saveurs
14 mars 2010

[1] Patrizia Nitti, Directrice artistique du Musée Maillol, dans le communiqué de presse de l’exposition.
[2] Définition du Trésor de la Langue Française Informatisé.
[3] Dimitri Tsykalov, Skull (I, III, IV).
[4] Paolo Canevari, Bouncing skull.
[5] Xavier Veilhan.
[6] Koen Theys, The Vanitas record.

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