Flamands et Wallons jouent leur partition
Comment être belge? Alors que les tensions entre les Flamands et les Wallons se durcissent, le Kunstenfestivaldesarts se pose la question. Le festival est à un tournant de son histoire. En 2007, sa directrice, Frie Leysen, qui l'a fondé en 1994 et en a fait un rendez-vous majeur de la création, a passé la main à deux de ses collaborateurs, Christophe Slagmuylder (41 ans) et Roger Christtnann (36 ans). Un binôme, à l'image de celui du Festival d'Avignon, dirigé par Hortense Archambault et Vincent Baudriller. Mais un binôme belge: Roger Christnann vient de la communauté allemande, Christophe Slagmuylder de la minorité francophone Bruxelloise. (…)
Six policiers à cheval
Côté finances, c'est surtout la communauté flamande qui aide le “Kunst”. Elle donne 980.000 euros de subventions, contre 480.000 accordés par la communauté française. Ces subventions sont les seules constantes dans un budget qui rend le festival vulnérable. Chaque année, il faut chercher de l'argent auprès d'une douzaine de partenaires qui varient. Jeudi 8 mai, veille de l'ouverture de l'édition 2008. Christmann et Slagmuylder étaient en discussion avec trois ministres pour boucler le financement du festival, dont le budget s'êlève à 2,5 millions d'euros (dont 500.000 de recettes propres) pour une trentaine de spectacles. Deux jours plus tard, samedi 10 mai, on pouvait voir sur la place des Martyrs à Bruxelles; un “happening” ironiquement emblématique de la situation belge: Patria, du nom de la statue qui trône au milieu de la place. Soit, entouré par des barrières derrière lesquelles se tenait le public, un gradin avec des hommes habillés en policiers. Serrés les uns contre les autres, sans bouger ou presque, à la manière d'un tableau vivant. Devant le gradin, six policiers à cheval.
Koen Theys, le vidéaste qui a imaginé Patria, s'est inspiré d'un tableau peint par Gustave Wappers en 1835, Episodes des Journées de 1830. Ce tableau était destiné à célébrer, l'indépendance belge, dans un vaste mouvement emphatic. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Une déprime colossale, qui fait dire aux policiers une litanie absurde de “Vive le” : “Vive le roi", “Vive ma belle-mère qui ne m'aime pas", “Vive l'Europe", “Vive la vitesse " ...
Le tout est dit en français, allemand ou flamand, sur un ton aussi essoufflé que les corps des policiers, de plus en plus avachis (même ceux qui sont à cheval, et dont la tête tombe sur celle de l'animal). C'est le ton de ceux qui n'y' croient plus, à cette “Patrie” qui s'enferre dans la “post-histoire”.
D’ une manière plus large, mais tout aussi révélatrice, les spectacles présentés pendant le premier week-end du festival tournaient autour de cette “post-histoire" qui fait ressembler le monde à celui d'un futur décrit par Michel Houellebecq ou Cormac McCarthy. Un monde sur lequel une cendre grise semble s'être déversée, parce que la nature est détruite - comme le montre Heiner Goebbels dans Stifters Dinge (qui sera présenté au Festival d'Avignon), ou parce qu'il n'y a plus de place pour l'homme, sinon dans le déséquilibre affolant et répétitif - comme le plasticien Kris Verdonck le met en scène dans son premier spectacle, End (La fin). En attendant la suite.
Brigitte Salino – Le Monde
14.5.2008
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