LES VANITÉS DANS L’ART CONTEMPORAIN
(...) Ainsi donc les Vanités contemporaines, proches des Vanités classiques dans leur intérêt évident pour les thèmes sans cesse récurrents du Temps et de la Mort, en diffèrent plus ou moins expressément, toutefois, par la variété des traitements et des matériaux qu’elles utilisent et par la liberté d’interprétation qu’elles laissent au spectateur selon le degré d’implication auquel il veut bien concéder. Dans leur hétérogénéité qui les distingue des Vanités du XVIIe siècle, elles ont donc abandonné les conventions hautement symboliques d’un genre pour adopter le parti pris d’une mise en acte du processus de corruption qui spécifie l’humain. Déjà autour de cette seule intention se rejoignent de multiples exemples qui varient selon la signification qu’ils accordent à ce processus et selon qu’ils rappellent ou non, presque malgré eux et par habitude, certains emblèmes ou certaine disposition des Vanités classiques. L’éventail est ainsi fort large qui va de la répétition de la Vanité classique sous une forme laïcisée à la conception de l’installation inédite qui, le plus souvent, emprunte à la Vanité classique l’un de ses emblèmes dorénavant métonymique. Ainsi, par exemple, pour la forme répétitive, de The Vanitas Record, « La plus grande vanitas du monde » de l’artiste belge Koen Theys, installation de plusieurs mètres qui présente la même accumulation d’objets emblématiques que les Vanités du XVIIe siècle : le crâne, le réveil, la bougie, les livres, jusqu’à l’ordinateur, instrument désormais obligé de la réflexion. Mais la différence entre cette Vanité contemporaine portée au superlatif et la Vanité classique réside bien dans l’accumulation excessive d’objets lesquels, dès lors, échappent à la disposition en miroir des Vanités historiques et font se perdre le regard du spectateur. Et si ce dernier reste fasciné devant le miroir que lui tend une Vanité classique composée d’objets soigneusement choisis et disposés dans un apparent désordre significatif, il ne peut qu’errer devant l’étalage de ces mêmes objets répétés à profusion et qui perdent, de ce fait, leur force d’interpellation. Aussi bien l’intention n’est-elle pas la même pour la Vanité historique et la Vanité contemporaine ; et celle-ci, en multipliant les emblèmes –les crânes, les montres, les bougies – donne à cet excès un aspect esthétique proche de la caricature et un aspect moral proche de la dérision. Les escargots vivants qui circulent librement dans l’inextricable amoncellement d’objets, et dont les cornes, selon Koen Theys, feraient penser aux micros tendus des journalistes, accentuent le caractère ironique de l’installation et confirment la distance conceptuelle que l’artiste maintient avec son propos. Une disposition nouvelle des emblèmes classiques de la Vanité en fait donc varier la signification qui se rapproche, elle aussi, avec l’installation de Koen Theys, de l’expérience vécue du visiteur, celle que traduit un sentiment de débordement encore accentué par une mobilité obligée du regard. L’artiste commente par ailleurs le motif de la Vanité en accordant toute son importance à la manière dont l’image est présentée, manière qui, à elle seule, produirait la signification elle-même. Aussi toute chose pourrait-elle constituer une Vanité, dit-il, et particulièrement les choses exhibées dans les média et vite oubliées. (...)
Marie-Claude Lambotte – Les Vanités dans l’Art Contemporain
Ed. Flammarion, Paris
Aout 2005
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