Koen THEYS


Sous le titre Les maternelles, Koen Theys présente une série de quarantequatre tirages cibachrome (60 X 90 cm chaque) qui questionne les possibles statuts de la photographie, la pertinence de son utilisation dans le cadre de stratégies artistiques fondées sur la relation, l'appropriation et le déplacement autant que la qualité de la sensibilisation aux pratiques artistiques en milieu scolaire. Suite à sa dernière exposition à la galerie Xippas (Voir le Monde, jouir du confort, 1998), l'artiste a pris conscience que ses procédures créatives -appropriation de formes et d'images préexistantes, recopiage, découpage, déplacement- étaient en bien des points comparables à celles appliquées par les élèves des maternelles sous la direction des instituteurs. Se rendant dans des écoles de Bruxelles et de ses environs, il a commencé un travail de documentation photographique destiné à nourrir sa propre démarche d'idées et de dispositifs nouveaux. L'expérience des visites de salles de classe et le tirage des premiers clichés réalisés a convaincu Theys de la pertinence de cette démarche dans le cadre de son œuvre. Il allait multiplier les prises de vues (il en a finalement réalisé environ deux mille cinq cents dans cent cinquante écoles) pour en exposer une sélection.

Le souci documentaire avait induit des cadrages en gros plan, au plus près des travaux d'enfants et de leur disposition dans la salle de classe. Les conditions souvent contraignantes des visites de l'artiste (méfiance, surveillance serrée) ne rendaient possibles que des prises de vues rapides, réalisées à la lumière naturelle ou à l'aide d'un éclairage direct au flash et sans aucune intervention sur les sujets. Aucune ambition esthétique ne présidait donc à la réalisation de ces clichés et c'est certainement ce qui fait leur force. Le matériel sommaire utilisé et l'habileté du photographe ont été seulement employés afin de garantir l'efficacité documentaire des images produites.

Considérées comme bonnes ou belles si efficaces, ces images rappellent celles, également documentaires et fonctionnelles, que l'artiste avait trouvées dans les archives de la Caisse des dépôts et consignations et exposées quai Voltaire, dans la galerie de l'institution à la fin de l'année dernière (il s'agissait de photos de lotissements construits par la Caisse entre 1960 et 1980).

Les Maternelles est aussi un nouveau développement de la stratégie artistique de Theys. Si par le passé, il a réalisé des images à partir d'un matériel iconographique préexistant, ou a fait œuvre de sélectionner et d'exposer des images documentaires dans un contexte particulier, il s'approprie par la photographie documentaire des formes plastiques et des situations de monstration que l'on pourrait dire "paraartistiques". Ce faisant, au-delà des formes et des situations, par la photographie, au delà d'une réflexion sur la corrélation d'une subjectivité du regard et de l'objectivité de la photographie, il stigmatise le jeu complexe des intentions, tentatives et tensions dont "l'art à l'école" est le théâtre permanent.

Parole d'adulte criée aux enfants, l'exposition a un sous-titre : "Allez les enfants. taisez-vous et dessinez! Il y a un artiste dans la classe". Son autoritarisme correspond à la violence des libertés prises, des effractions commises, des réponses données plastiquement par les enfants aux injonctions pédagogiques des maîtres. Reproduis le modèle, Cœurs rouges, La poubelle, Les barbouillés, ... affublées de titres anodins ou enfantins, ce sont bien de crimes sauvages, de faits de guerre et d'actes de "barbarie" dont les photographies de Koen Theys témoignent.


Alexandre BOHN - LE JOURNAL DES EXPOSITIONS
mars 2000

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