KOEN THEYS - DIANA
Koen Theys est actuellement étudiant à l'institut Sint-Lukas à Bruxelles. Depuis plusieurs années, il réalise des performances en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne et au Luxembourg. Il a déjà tourné plusieurs vidéos, mais "Diana", qui a été successivement primée au festival de Locarno, sélectionnée au festival de San Sebastian et achetée par le Musée d'Art Moderne de New York, est sa première réalisation personnelle.
"L'art vidéo,dit d'emblée Koen Theys, n’a pas encore apporté de véritable nouveauté par rapport au cinéma. Même Nam June Paik n'a pas vraiment changé les formes du passé." Première déclaration, aussi lapidaire que sa "Diana" cérémonieuse et révoltée, brutale et directe, qui à chaque instant va au vif du sujet.
Pour Koen Theys, l'art vidéo a emprunté trop de voies moyennes, et il est temps d'exprimer sans détour ce qui pousse à créer. "Diana" est la déesse de la chasse, et plus précisément pour lui de la chasse aux images. Elle capture la réalité qui est sa cible: au moyen d'un médaillon qui apparait souvent dans cette vidéo et qui cerne les images, par un ralenti qui capture les mouvements des animaux ou des personnages, ou encore par la réutilisation de films super-8 qui semblent appartenir au passé...
Koen Theys s'identifie en fait à la déesse elle-même. Il guette aussi sa proie. Comme à la chasse, il attend ce moment du "tableau", c'est-à-dire ce moment où on expose toutes les pièces tirées, où on fait le compte après une joumée de battue ... après une année de prises de vues.
LE PASSAGE DE LA MORT
Cette vidéo est donc une longue marche vers la composition, vers un tout qui donne l'impression d'élan vital. Lorsque Koen Theys y arrive, c'est comme si pour lui la mort, dans son statisme, achevait de donner la vie aux images. comme si le gibier capturé revivait par cette exposition finale. La durée est empaillée, le corps est immortalisé par la pellicule. L'enregistrement des images est un acte morbide, mais essentiel à la vie. Le public est à ce prix, et c'est le sens même de "Diana" que d'expliquer par l'instinct et par la métaphore extrême de la chasse la relation que Koen Theys vit avec ses spectateurs: une relation souvent d'agression, une relation autoritaire qui dispose de la toute puissance des images.
Vie et mort, Eros et Thanatos, sont intimement entremêlés dans la découverte de ce ''tableau'', de ce spectacle. Koen Theys, comme Georges Bataille, s'intéresse à ce paradoxe des forces opposées et à son paroxysme dans la création: "Nous devrions faire table rase et revenir au temps de l'animalité, dit Bataille ( ... ), la pensée (la réflexion) ne s'achève en nous que dans l'excès. Que signifie la vérité en dehors de la représentation de l'excès ( ... )?" (1)
Koen Theys va aussi au bout des choses, jusqu'au sens ultime des mots, quand le langage est tellement rempli d'image, quand le spectacle est tellement rempli d'ob-scénité, selon l'expression de Baudrillard, qu'il déborde dans un monde qui dépasse toute compréhension, dans un univers sans format et sans norme. Cette compréhension devient alors une sorte de sensation confuse où se mêlent le dégoût et l'attirance. On a l'impression d'atteindre une zone illimitée de pulsion et de répulsion où la distance et les conventions sociales qui séparaient les individus s'abolissent peu à peu.
Souvent on se méfie de ces expériences-limites et on croit que, dans leur ambiguité, elle prêtent le flanc à l'horreur gratuite, à la violence pour la violence. Mais pourquoi s'arrêter à la signification littérale et à la visualisation des scènes de mort chez Koen Theys? Il nous lance justement le défi d'un au-delà de la mort: "La mort est ce qu'il y a de plus terrible et maintenir l'œuvre de la mort est ce qui demande la plus grande force", disait déjà Hegel cité par Bataille.
Il en s'agit donc pas ici de faire l'éloge de cette mort littérale - même si celle-ci est un passage obligé - mais de voir comment elle est à l'œuvre dans les images: Walter Benjamin, Roland Barthes, Denis Roche ou Jean-François Chevrier, ont montré que cette expérience est quotidienne. Dans la photographie par exemple, la mort est à l'oeuvre parce qu'elle immortalise, parce que c'est une image qui représente une personne qu'on a connue et dont on ressent plus cruellement l'absence lorsqu'on est confronté à l'indice de sa présence. Dans ce sens, "Diana" existe surtout photographiquement, parce que, dit Barthes, "la Mort, dans une société, il faut bien qu'elle soit quelque part si elle n'est plus (ou est moins) dans le religieux, elle doit être ailleurs: peut-être dans une image qui produit la mort en voulant conserver la vie." (2)
(1) Georges Bataille, Préface à "Madame Edwarda", rééd. 10/18 n0781, 1979, p. 16.
(2) Roland Barthes, “La Chambre Claire” note sur la photographie, Cahiers du Cinéma - Gallimard -
Seuil, Paris, 1980, p.144.
Eric de Moffarts - Vidéodoc
nov 1984
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